HYPERCALCEMIE ET LYMPHOME MEDIASTINAL CHEZ UN CHIEN
Cas clinique rédigé par le Dr Estelle JACQUEMOUX,
DE Cancérologie
I/ Présentation de l'animal
Notre patient que l'on nommera John pour respecter son anonymat, est un Berger Australien de 8 ans, mâle entier, reçu le 21/03/2022 pour l'exploration d'une hypercalcémie.
II/ Anamnèse et commémoratifs
John vit dans une maison avec jardin, est vacciné, vermifugé 2 fois par an et irrégulièrement traité contre les parasites externes. Le propriétaire de John ne pouvant se déplacer, son fils sera mon seul interlocuteur.
D'après l'éleveur, il est indemne de la mutation du gène MDR1.
John était en bon état général jusqu'en février 2022, sans antécédent particulier.
Il a été reçu en urgence le 17 et 20/03/2022, pour un abattement, une dysorexie, une perte de poids (-7 kg en 1 mois), une polyuro-polydipsie (PUPD) et des tremblements des membres postérieurs.
Des examens sanguins (tableau 1) sont réalisés, ainsi qu'une échographie abdominale (sans anomalie visible).
Aucun traitement n'est mis en place, John est référé à notre service.
III/ Examen clinique d'admission
John présente une amyotrophie, un score corporel de 2/5, il pèse 24,8 kg.
Il est normotherme, normohydraté, présente une polypnée compatible avec le stress. L'auscultation cardio-pulmonaire ne présente pas d'anomalie, la fréquence cardiaque est de 90bpm.
Le toucher rectal ne présente pas d'anomalie.
La mobilisation des cervicales, la palpation des vertèbres de la jonction lombo-sacrée et des lombaires entraînent une réaction de douleur.
IV/ Synthèse clinique et anamnestique
Berger australien mâle entier de 6 ans, cachectique, présentant une hypercalcémie totale sévère associée à une discrète azotémie sans hyperphosphorémie, dans un contexte d'abattement et douleurs vertébrale.
L'hypercalcémie explique prioritairement la PUPD et peut induire/participer à l'azotémie (déshydratation et/ou néphrocalcinose).
V/ Diagnostic différentiel
VI/ Examens complémentaires
VII/ Synthèse
Lymphome médiastinal à grandes cellules, de haut grade de malignité, de stade à minima 2
(absence de myelogramme), sous stade b, associé à une hypercalcémie maligne.
VIII/ Prise en charge thérapeutique
IX/ Pronostic
La médiane de survie des lymphomes médiastinaux est de 194 jours lors de traitement de chimiothérapie avec un protocole CHOP.
L'absence d'épanchement pleural semble être un facteur pronostic positif (augmentation de la
survie globale, mais pas de la survie sans progression).
X/ Suivi
A la 2ème séance, John présente une rémission complète : état général et appétit normal, absence de PUPD, calcium ionisé dans les valeurs usuelles basses, résolution des anomalies
hématologiques, absence de masse médiastinale (contrôle échographique), prise de poids.
Le dernier bilan biochimique réalisé le 24/10/2022 ne met pas en évidence d'anomalie
(notamment calcémie).
Jusqu'à la 7ème séance, le rythme d'administration est respecté. Puis John est reçu pour ses séances de chimiothérapie de manière plus espacée (4, 6, puis 7 semaines entre les dernières séances), par manque de disponibilité.
John a présenté des épisodes de diarrhée bénigne (grade de toxicité 2/4) durant 24-48h après les séances.
Le 12/12/2022 : John a rendez vous pour une séance de chimiothérapie. Il présente une dysorexie depuis la veille et une baisse d'état général. Les muqueuses sont roses pâles.
La NFS met en évidence une anémie (Hb 7,9g/dl, Ht26 %, GR 3,84.1012/L) et thrombopénie (61.109/L). Un frottis sanguin et un test de Coombs direct (négatif) sont réalisés.
La séance est reportée, afin d'explorer la cause des troubles hématologiques et de réaliser une éventuelle séance de chimiothérapie. Le rendez-vous ne sera pas honoré.
John décède à son domicile le 16/12/2022, après presque 9 mois de prise en charge.
XI/ Autopsie
Les muqueuses sont porcelaines, l'abdomen est distendu (signe du flot positif) par un hémoabdomen (abdominocentèse).
Une échographie met en évidence une masse hétérogène dans l'extrémité d'un lobe hépatique et une absence d'épanchement thoracique (échographie médiastinale non réalisée).
John est probablement décédé d'une hémorragie d'origine tumorale.
XII/ Discussion
Un immunophénotypage aurait permis de connaître avec certitude le phénotype du lymphome. Les critères morphologiques des cellules à l'examen cytologique pouvaient laisser
suspecter un phénotype B (grande taille).
Des publications révèlent des cas de lymphome de phénotype T présentant des critères
morphologiques de phénotype B (2, 3).
De même, une autre étude sur les lymphomes médiastinaux primitifs, met en évidence 96 % de phénotype T. Dans ces cas de phénotype T : 35 % avaient un aspect morphologique les classant comme lymphome à grandes cellules. (1)
Les critères cytologiques seuls sont donc insuffisants pour déterminer un phénotype,
en particulier dans le cas d'un lymphome médiastinal à grandes cellules.
A noter que le Berger Australien est prédisposé à présenter un phénotype T (68 %).(4)
En revanche, l'évolution clinique et la réponse au traitement (rémission complète, rapide et plutôt longue, malgré un suivi imparfait lié aux contraintes du propriétaire) est plutôt en faveur d'un lymphome à cellule B. En effet, il est démontré un meilleur pronostic lors de lymphome de haut grade avec le phénotype B (RC 81-84 %) versus T (50-67 %). (4)
Une ponction de moelle osseuse aurait du compléter le bilan d'extension. Un frottis sanguin
aurait pu, à minima, être réalisé (7 % des chiens à lymphome médiastinal présentent une infiltration médullaire et 7 % des lymphocytes néoplasiques circulant sans lymphocytose(1)).
En l'absence de consensus, le choix du traitement s'est porté sur un protocole L-CHOP(1).
Une étude de 2005 ne met pas en évidence de différence de toxicité entre un protocole CHOP avec ou sans L-asparginase (ni de durée de 1ère rémission et survie globale) sur une cohorte de chien à lymphome multicentrique. (5)
D'après d'autres études, il semblerait qu'avec un protocole CHOP la rémission soit plus longue lors d'utilisation de L-asparginase dès l'induction en cas de lymphome médiastinal de phénotype T (4, 6, 7).
Pour John, le protocole a été initié par une injection de L-asparginase, justifiée par son mauvais état général ; dans l'idée que cette molécule serait mieux tolérée qu'une molécule
cytotoxique.
Certains auteurs préfèrent des protocoles intégrant de la lomustine et/ou d'autres agents
alkylants en première intention lors de lymphome à cellules T (4, 8, 9). J'ai fait le choix de garder ces molécules pour une réinduction.
Le protocole de secours n'a pas eu l'occasion d'être mis en place. Mon choix se serait porté sur une réinduction L-CHOP (puisque la première rémission fut longue et le rythme d'administration non respecté), puis sur un protocole LOPP modifié en seconde intention (9).
La radiothérapie couplée à un protocole CHOP semble prometteur lors de lymphome
médiastinaux (2 chiens avec une survie plus longue, dont un 1779 jours (1)).
Un hémoabdomen aigu reste très atypique dans le cadre d'un lymphome. Sans autopsie, nous ne pouvons déterminer avec certitude l'origine de l'hémoabdomen.
Les lésions échographiques n’étaient pas caractéristiques d’un lymphome. Une cytoponction
de la masse abdominale aurait permis de connaître sa nature (comorbidité avec une autre
entité tumorale ?).
En 2017, un labrador présentant une rupture splénique avec une infiltration splénique et
des ganglions mésentériques par un lymphome diffus à grandes cellules B a été décrit (10).
XIII/ Bibliographie
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